lundi, 27 février 2012

Aujourd'hui est un slogan publicitaire pour vous vendre...

Avec Gilsoub, think different

À vous d’inventer la vie qui va avec, parce que vous le valez bien…

What Else ?

yeux

(022/366)



D’autre 366 à prise rapide…

Le sourire...

Un jeudi matin comme les autres. La violence du réveil l’avait encore sortie de son rêve, qui devait être extraordinaire, certainement, mais déjà oublié. Six heures, la dure réalité de sa vie reprenait le dessus. Il va encore falloir supporter ses congénères, ses contradictions, son blues quotidien ! De nouveaux dires des « oui monsieur » hypocrites à son chef de service alors que, au fond de la gorge se cachent d’autres mots moins policés. Encore une journée où il va devoir aligner des chiffres les uns après les autres sur son écran. Des chiffres avec plus de zéro que jamais ses feuilles de paye en contiendraient. Rester polis avec tout le monde, cacher sa détresse derrière un grand sourire. Ah, ce sourire, rempart de toutes ses peurs, forteresses de ses peines, que de tristesses maquillées en humeurs chatoyantes : Ne vous inquiétez pas, tous va bien dans le meilleur des mondes, qu’on se le dise !

18 ans de boîte, et tous va bien ! 18 ans à aligner des chiffres, d’abord dans de grands cahiers, puis, modernité oblige, sur un bel écran ! Toujours les mêmes. Seul l’unité monétaire et les zéros ont mué. 18 ans à attendre une reconnaissance de ses chefs. Eux, ils ont changé, mais lui, toujours le même poste, même étage, même bureau et même salaire ! 18 ans à s’emmerder, mais il sourit, alors, pourquoi s’inquiéter ?

Et puis il y a elle… 

Pas loin, deux bureaux seulement. Elle viendrait lui dire bonjour, les quatre bises réglementaires. Puis la pause-café où elle passera sûrement lui parler, lui raconter peut être, s’il n’y a personne, des choses un peu intimes. Il aime bien cela, il en a besoin même… Une grande amitié les lie. Une vraie amitié même, depuis longtemps. De ces amitiés qui ne s’expliquent pas mais qui existent. Et puis il l’aime. Pas elle ! « Juste copain » qu’elle dit, « pas gâcher tout cela, ce serait dommage » qu’elle argumente. Et lui sourit. « OK » qu’il dit, juste copain, et pourtant… Il sourit. Oublier qu’il l’aime, se faire une raison, sourire, toujours sourire…

Une douche, un café… Et ce sourire qui ne veut pas venir. Un coup d’œil dehors, il fait sombre, triste. Il pleut. La radio et son cortège de nouvelles accompagnés de quelques centaines de mort, de catastrophe, de famine, de guerre… Et pas de sourire. Le vide, le néant. Un grand trou dans son estomac. Sensation de mal-être. Il ne veut pas, se rebiffe, mais rien n’y fait. Il se regarde dans la glace. Rien, pas un rictus… Il a vieilli depuis hier. Un cheveu blanc qu’il n’avait jamais vu. Il ne se trouve pas beau, gris comme le ciel, et pas envie de sourire.

Dehors il pleut toujours. Première cigarette. Aujourd’hui il n’a pas pris son parapluie. Il se mouille, mais n’a pas envie de se presser, de monter dans ce RER au milieu de tous ces clones. Aujourd’hui il est comme eux, sans sourire. Rien que de penser au mélange de différents effluves d’eau de toilette souvent bas de gamme lui donne la nausée. Encore une fois, il va falloir supporter la promiscuité de ces corps tassée les uns contre les autres, le visage fermé, courant vers un destin différent, mais somme toute identique. Gagner sa vie dans des bureaux mornes et tristes en laissant croire que l’on est heureux d’être là !

Ce matin il n’a envie de rien, de rien d’autre que d’elle…

Tiens, il aurait dû descendre là, comme tous les jours depuis 18 ans. Il n’a pas bougé. Pas envie. Il a perdu son sourire et ne le retrouve pas. Sans lui plus de protection, de sécurité, de faux-semblant. Sans lui il est nu, faillible. Sans lui il a peur d’affronter les autres. Ils pourraient deviner !

Il reste là sans bouger.

Quelques stations après, entraîné par une vague plus forte que les autres, il se retrouve sur un quai. Se laisse emporter par le troupeau à travers ce labyrinthe souterrain, se retrouve dans une autre rame, recommence le voyage, redescend, repart sans but. Il se laisse faire, prit par cette masse humaine. Il ne sait plus où il est, peu importe, il recherche un sourire, juste un sourire…

10 heures, l’heure du café. Il se décide enfin à reprendre le contrôle de lui-même, de son destin. Il émerge au milieu de la place de l’Hôtel de Ville. Il pleut toujours ! Un bar à l’angle, face à la Seine. Un expresso. Dans sa poche, son portable vibre. Numéro caché. Ce doit être son patron. Où est-tu ? le sort de la boîte est en périls à cause de toi ! Qui va aligner les chiffres ? Retenus sur salaire, bonne excuse et tout le tralala… Il ne décroche pas… Pas envie… Il paye son café à un garçon pressé qui ne sourit pas. Ce n’est pas compris dans le service. Sur les quais de Seine, un couple d’amoureux. Pour combien de temps ? Il s’en fout ! Sur le pont, il la regarde couler inexorablement sous ses pieds. Il la fixe. Ses pensées s’en vont au gré des flots. 

Le téléphone vibre à nouveau. C’est elle :

- Ben t’es où, tu viens pas bosser ?

- Non…

La voix devient inquiète :

- T’as un problème ?

- Oui…

- Quesqui t’arrive ?

- Je t’aime !

- …

Silence déconcerté :

- Mais, on en a déjà parlé…

- Ce n’est pas grave, tu penseras à nourrir mon chat, les clefs sont chez le concierge. Salut…

Il aurait dû le faire depuis longtemps, il y a déjà songé, mais maintenant il a décidé. Il regarde l’eau une dernière fois. Plouf. Il a juste eu le courage de le faire, il n’a pas le temps de voir le téléphone couler, trop rapide,.

Il se retourne et hèle un des innombrables taxis qui attendent le touriste en goguette.

- À Roissy s’il vous plaît.

- Quel terminal ?

- Peu importe, le premier avion pour le soleil…

Il voit les yeux de l’homme qui le regarde dans le rétroviseur. Il se retourne. C’est un grand black. Il sourit d’abord puis éclate d’un grand rire.

- OK Boss, on y va…

Un sourire, c’est son premier sourire de la journée et de sa nouvelle vie. Et cela le fait sourire… 

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et la version mp3 pour les amateurs…



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Publié initialement le 4/12/2006

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