Gérard était arrivé tôt ce matin, il avait garé sa Ferrari à la place habituelle. Il faudra qu’il dise à sa secrétaire — pardon assistante ! — de téléphoner à la boite de sécurité : il avait attendu au moins une minute que la barrière s’ouvre et quand il avait protesté, l’homme de service lui avait répondu qu’avant 6 heures il devait noter toutes les immatriculations ! Putain ! ils le savent que c’est le patron, et que le patron il a une Ferrari, et que le patron on ne le fait pas attendre !

Ce soir il part à Deauville pour deux jours. Il va lui en mettre plein la vue à cette petite rouquine rencontrer hier au cocktail. Elle était serveuse. Elle doit pas avoir beaucoup plus que 18 ans, mais un cul et des seins… Comment elle s’appelle déjà ? Ah oui, Mathilde… Ou un truc du genre… Palace et champagne devraient faire l’affaire, de toute manière il n’a pris qu’une suite ; si cela se trouve, il arrivera même à se faire faire une petite gâterie avant l’arrivée ! chalenge ! À 180 km/h, du pur bonheur ! Le pouvoir de la Ferrari est des fois étonnant. Et puis elle ne va pas faire sa mijaurée, s’il le faut, quelque liasse feront l’affaire. De toute façon c’est lui le boss…

Aujourd’hui il a la réunion à 10 heures pour signer le contrat avec les Américains. Ils veulent nous entuber, ils vont avaler de travers quand ils vont voir les avenants !

Pourquoi il n’arrive pas cet ascenseur ? Encore des incapables qui ont réglé ce truc. Décidément, il n’est entouré que de bons à rien !

Ah oui, penser à dire à Martine d’appeler sa femme, lui signaler qu’il ne sera pas là ce Week-end, voyage d’affaires ! et quelle affaire !

Et puis faire annuler le rendez-vous avec Julia cet après-midi, c’est bien le 5 à 7, mais peut être garder un peu de force pour la jeunesse, ce soir…

Gérard entre dans son bureau, allume la lumière, c’est là qu’il l’aperçoit. Grand, baraqué, le sourire ravageur du grand séducteur, les yeux pétillants. Costume simple trois pièces, chaussures marrons impeccablement cirée, la cravate noire avec deux ailes blanches brodées dessus. On lui donnerait le Bon Dieu sans confession !

- Bonjour, excusez-moi, j’ai une heure d’avance !

- Monsieur ? l’on a rendez-vous ? Si tôt le matin, je ne crois pas…

- Désolé, j’ai effectivement rendez-vous avec vous, sauf que vous ne le saviez pas encore ; voilà, c’est fait !

Ce doit être un coup des Américains, pour le déstabiliser ! ou alors les Italiens, avec leur mafieux, on ne sait jamais.

- Désolé, j’ai à faire, si vous voulez me voir contactez ma secrétaire à partir de 9 h. Voilà au revoir…

- Je crois que vous n’avez pas encore compris la situation ; je vous explique. Vous êtes mort, du moins presque… mes patrons avaient pensé à un bel accident ; normalement à cette heure-là vous devriez être dans une ambulance du SAMU, votre décès devant être prononcé à 7 heures et huit minutes exactement ! dans environs une heure. 

- Dois-je comprendre que vous me menacez ?

- Nullement, ce ne sont pas des menaces, juste des faits. Désolé ce n’est pas moi qui décide du moment, j’ai juste un peu de pouvoir sur la méthode. Et abimer une si belle voiture ; que voulez vous, dans une autre vie j’étais ouvrier chez Enzo… alors, je me suis dit qu’une petite rupture d’anévrisme ferait l’affaire, simple, efficace et votre femme garde la voiture…

En disant cela, l’homme eut un petit rictus moqueur…

- Bon j’appelle la sécurité… 

- Faite donc.

- Allo ? Oui, il y a un homme qui c’est introduit dans mon bureau, oui un fou qui me menace, merci de m’envoyer quelqu’un ! Comment cela ? Mais le patron, qui veut tu que je sois abruti ! je suis ton patron et s’il n’y a personne dans trois minutes je vous vire tous bordel de merde !

- Cela fait du bien, hein ? Se défouler un peu sur des pauvres bougres…

- Écoute je ne sais pas qui tu es, mais je te jure que tu es finis, toute ta vie tu vas regretter de m’avoir rencontrer.

- Quelque chose me dit que cela va être le contraire, quoique toute votre vie, cela ne fait guère plus que cinquante minutes maintenant… Je suis juste un messager, un accompagnateur, un liquidateur, normalement on ne me voit pas, sauf que là comme j’aime les belles voitures, j’avais une heure à tuer… si j’ose dire…

- Donc vous êtes un fou, c’est bien ce que je pensais… Votre histoire ne tient pas debout parce que je ne peux pas mourir aujourd’hui ! Vous savez qui je suis ?

- Vous êtes Gérard Parpaillet, Président directeur général de French Sympatical Food, Numéro un de la distribution alimentaire synthétique, vous êtes né le premier septembre 1966 et avez donc quarante-six ans, et vous êtes un beau salaud, sauf votre respect. Voilà ce qui sera marqué sur votre tombe… Sauf pour le dernier compliment, cela va de soi…

- Bien renseigné, mais voyez-vous, j’ai fait un check up complet la semaine dernière et je suis en pleine forme ! Cette putain de journée j’ai un gros contrat à signer avec les Américains, il s’agit juste d’inonder leur marché de foie gras de synthèse à base de vers OGM. Rien que cela, des milliards à se faire, cette putain de journée, j’ai une interview télé, et surtout ce soir je devrais sauter une des plus belles filles qu’il m’a été donné de rencontrer, et pour pas un rond, alors vous êtes gentils, mais vous allez déguerpir vite fait, je n’ai tout simplement pas le temps et encore moins les moyens de mourir…

À cet instant on frappe à la porte, deux employés dans un uniforme bleu marine, marqué sécurité dans le dos et un chien tenu en laissent, la bave aux lèvres entre dans le bureau.

-Bonjour monsieur, vous avez un problème ?

-Oui, veuillez faire sortir cet homme de mon bureau et le remettre aux forces de police, je téléphonerais moi-même au ministre pour m’assurer que cette intrusion ne restera pas sans suite. D’ailleurs je serais curieux de savoir comment il est rentré ! là aussi on va en recauser ! croyez-moi !

- …

- Et bien alors, qu’attendez-vous ?

- Ben c’est que… où est ce monsieur ? Sauf votre respect…

- Vous vous foutez de ma gueule ? Là sur ce fauteuil, c’est quoi ?

- Heu, c’est que… il n’y a personne là sur le fauteuil… tu vois quelqu’un toi, Jacques ?

- Foutez-moi le camp, bande d’incapables, sortez immédiatement, vous aurez de mes nouvelles bandes de connard ! 

L’homme le regarde, toujours tranquille, comme amusé par la scène qu’il vient de voir

- Je crois que j’ai oublié de vous dire, il n’y a que vous qui me voyez. Quand ils raconteront tout à l’heure, au temps des pleurs et des faux regrets, cet amusant épisode, voilà qui sera pris pour les premières prémices de votre AVC. Bon, d’ailleurs, on y est presque… Si vous avez une dernière volonté, profitez en… C’est une faveur !

- bon, parlons clair, combien ?

-je ne suis pas à vendre…

-Tout s’achète, ce n’est juste qu’une histoire prix…

- tssss vous me prenez pour le diable ? Allez, il est l’heure…

Gérard s’est affalé sur la moquette, c’est Martine qui l’a trouvé, le SAMU a conclu à une mort rapide, les deux gardiens furent les héros du jour, interviewé par toutes les TV, puis il montèrent dans une Limousine noire conduite par l’homme à la cravate noire au ailes blanches. On entendit plus parler d’eux.

La signature du contrat avec les Américains fut signée trois jours plus tard, les administrateurs nommèrent un nouveau PDG. 

La vie continuait…

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Les impromptus de cette semaine demandait un petit texte sur le thème : Une heure avant de mourir…