Pierre regarde les rouleaux qui inlassablement viennent se jeter sur le sable fin du rivage, abandonnant derrière eux une frange d’écume semblant se dissoudre comme par magie.

Il a encore le goût des lèvres de Marie sur les siennes.

Il est tôt, à peine 9 heures, seules des retraités et quelques chiens promenant leurs maîtres animent la plage. Les touristes finissent de cuver leurs nuits dans leur lit.

« On s’appelle ».

Ce fut ses dernières paroles et la voiture a démarré le laissant à son premier jour d’après…

Il n’est même pas certain de savoir retourner chez elle.

Trop de chose dans sa tête.

Juste heureux… heureux et triste… heureux, triste et anxieux…
 

Il a poussé la porte de la maison qui s’éveillait doucement. Aucune question, simplement des regards entendus. Un « bonjour » ici, un « tu veux un café » là.

Il a ramené des croissants, comme pour se faire pardonner… De quoi ?

Peu importe.

C’est à peine s’il se rend compte de leur présence.

Ce matin il s’est réveillé dans ses bras, et elle lui manque déjà !

Ils se connaissent si peu, pourtant son absence lui fait une boule dans le ventre !

 

« Tu aurais du dire que tu ne rentrais pas la lumière extérieure est restée allumé toute la nuit ».

 

Que pouvait-il en savoir, lui, qu’il ne rentrerait pas !

Hier, à cette heure, il était à 400 km d’ici, angoissant comme un ado de ce rendez-vous de l’après-midi. Il s’inventait des excuses pour ne pas y aller…

Le travail, une panne de voiture, des extraterrestres…

Et puis il est parti…

Il n’imaginait pas ce qui pourtant, avec le recul, était une évidence. Cela ne pouvait finir que dans les bras l’un de l’autre, dans un même lit, dans le sien…

Naïveté pour conjurer le sort, peut-être…

Il monte dans sa piaule, se couche sur le vieil édredon sentant le renfermé, son sac pas défait posé dans un coin.

Juste se changer ; ne pas prendre de douche ; garder son odeur en soi ; ne pas laver l’empreinte de sa peau sur la sienne.

 

Il clôt ses paupières.

 

— Tu veux rentrer ou rester ?

— Et toi, de quoi as-tu envie ?

— Que tu restes !

— Alors je reste…

 

Elle a refermé la porte de sa chambre. Le sort en était jeté. Bascule sur le lit, elle est là au-dessus de lui, les yeux brillants, geste mécanique, les vêtements volent, lumière tamisée, maudits soutien-gorge et leurs fermoirs.

Elle, nue, offerte ; lui, nu, offert.

Elle le veut, il la veut, les esprits s’échauffent, s’embrasent et s’embrassent ; subitement, ne suivant plus la tête qui crie oui, le corps qui dit non, rien, le néant, comme un soufflé qui retombe. La panne, maintenant, au plus mauvais moment, un transistor qui a dû péter, peut être une durite…

Elle essaye de réparer, y met du cœur, rien…

Il se concentre, et plus il le fait, plus cela ressemble à la retraite de Russie, la Bérézina et Waterloo réunis. Il rêvait d’Arc de triomphe et d’obélisque fièrement dressé, il n’a que l’hommage au soldat inconnu, et encore, la flamme n’a pas été ranimée.

De dépit, il siffle la fin du match…

« Cela ira mieux demain », lui dit-il, alors qu’il n’est pas certain d’y croire lui-même.

 

Il ne se rappelle pas qu’elle a prononcé quelque chose, il lui en sait gré ; elle s’est juste lovée contre lui, l’entourant de ses bras réconfortants.

Douce chaleur de son corps épousant le sien dans un S parfait.

Et puis ils ont dormi, du moins essayé, par à coup, ce truc qui trotte dans sa tête…

« Ce doit être l’alcool qu’il se dit, ce doit être cela »

Sa première panne, celle dont on croit qu’elle n’arrive qu’aux autres…

 

Pierre rouvre les yeux. Il regarde ce plafond humide qui s’effrite.

Et si elle ne voulait plus de lui ?

Si cette première fois n’avait pas de suite ?

Et si, et si…

 

Le téléphone qui vibre…

Un SMS…

Son nom sur l’écran…

C’est déjà le premier jour de la première fois…

C’est déjà le premier jour d’après la panne…

C’est déjà le premier jour d’avec elle…

 

Pourvu que ce ne soit pas le dernier…



Et la version à voix haute :
Fichier audio intégré

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Ceci est ma petite contribution aux Impromptus Littéraires de cette semaine : “ Au fait ce premier jour de vie, de classe, de surboum, de vie en couple ou de retraite, c’était comment ? “