— La nuit où j’ai volé sur le dos du dragon, attendez, je réfléchis, c’était bien la nuit de dimanche à lundi ! Je suis formelle ! Je m’en rappelle, j’étais avec Fritz et les Anciens, tout Terilville nous a vus ; on faisait la chasse aux pirates rouges. Humbre Tombétoile et le fou sont aux courants, vous pourrez leur demander. Alors, pensez donc, assassinez un chauffeur de taxi sous le pont des Arts, c’était bien loin de mes préoccupations du moment.

Le commissaire me regardait d’un œil malicieux qui se voulait éteint, mais ce n’était que pur ruse, ce n’était pas la première fois que j’avais à faire à une de ses enquêtes, mais lui ne pouvais pas le savoir. Il bourra sa pipe, sortit une allumette, la gratta d’un geste vif et alluma sa bouffarde dans un nuage de fumée. Il regarda la petite braise d’un air satisfait et décrocha son téléphone, fit tourner le cadran plusieurs fois, et attendit : « Chérie ? C’est moi, ne m’attend pas pour le dîner, je pense que j’en ai encore pour un moment… Oui, je sais, mais que veux-tu, c’est comme cela ! ». 
Il raccrocha et se tournait vers moi : « Sur le dos d‘un dragon dites-vous ? »

— Et oui, un beau dragon argenté, avec des éclats dorés et des yeux émeraude. De toute beauté, et majestueux. Il est vrai que c’est impressionnant, surtout que là, il y en avait au moins vingt ou trente ! Notez bien, Monsieur le commissaire, que ce n’est pas la première fois que j’en chevauchais un. J’avais déjà fait cette expérience quand nous étions à la recherche de Malta, prisonnière d’une galère Chalcédienne, mais bon, ce n’était pas la même saga quoique, l’un dans l’autre, les deux se rejoignent !

— Donc, vous ne pouvez pas êtres l’assassin du pont des Art, parce qu’à ce moment vous étiez avec des amis sur le dos d’un dragon en train de faire la chasse aux pirates !, C’est bien ce que vous m’avez dit ?

Je sentais son agacement poindre, bientôt il hausserait la voix, je le connais par cœur, je vous dis…

— Oui, vous avez bien compris, notez que ce n’est pas le fait d’assassiner qui me gêne, j’en ai vu d’autre, comme tout le monde cela m’est arrivé plus d’une fois dans ma longue vie, mais sur ce coup-là, ce sont plutôt des pirates que j’ai fait passer de vie à trépas…

Le commissaire se leva et se mit à tourner en rond dans le bureau. Il commença à monter le ton.

— J’aimerais bien que vous m’expliquiez, comment du dos d’un dragon, vous débarquez ainsi dans une de mes enquêtes, vous n’avez pas de papier, pas de noms, encore moins de domiciles. On vous trouve sur les lieux d’un meurtre, à côté d’un cadavre, assis sur le quai en train de regarder passer les péniches comme si de rien n’était, et quand je vous demande si vous avez vu quelque chose, vous me répondez simplement de ne pas m’inquiéter, que je trouverais le coupable, mais seulement une page avant la fin de l’histoire ! Que ce n’est pas vous puisque vous chevauchiez un dragon ! Et vous voudriez que je trouve cela normal ! Dites donc mon bonhomme, il faudrait voir à trouver une explication un peu plus rationnelle !

— Rationnel, je ne suis pas certain que ce soit le terme approprié, mais comme les autres fois où l’on s’est croisé, je vais vous expliquer. Je suis l’imagination de vos lecteurs, je vole d’histoire en histoire, de personnages en personnage, d’intrigue en révélation, de page en page. Et de temps en temps, quand le livre se referme, je reste bloqué là à attendre la suite, à faire vivre l’histoire, jusqu’à ce que le lecteur la reprenne. Des fois, cela peut être long, très long… Mais sentez-vous ce frémissement, Monsieur le commissaire ? Je sens que le train va repartir… Je vous dis au revoir et sûrement à une prochaine…

Le commissaire décrocha son téléphone : Lucas, faite moi montez une bière et un sandwich…

NDA : Il est évident que toute ressemblance avec les dragons des aventures de Fritz Chevalier, l’assassin Royal et de celle des Rivages Maudits, ne serait pas une pure coïncidence. Si vous aimez les longues sagas, je ne saurais trop vous conseiller de vous plonger dans « La citadelle des ombres » et dans « Les aventuriers de la mer » de Robin Hobb aux éditions Pygmalion. Pour en savoir plus, vous trouverez une petite note sur cette saga, ici sur mon blogue

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Billet initialement publié le 7/05/2008 en participation au jeu d’écriture des impromptus