On avait 20 ans. Un vendredi soir. Une virée étudiante comme tant d’autres. Elle n’était pas spécialement belle ; elle était pétillante.

Elle est arrivée avec Alain.

J’ai perdu un copain et trouvé une amie.

Un vieil immeuble dans les beaux quartiers parisiens. L’ascenseur deux places collées serrées aux grilles en fer forgé, d’abord fermer la porte rideaux puis la brusque et longue montée à vue jusqu’au sixième ; les marches et les étages défilent à toute vitesse. À droite le petit escalier de service et encore un niveau. Toilette sur le palier et derrière la chasse, la clef de la chambre de bonne que Laurent me laisse le week-end quand lui repart dans sa province.

À vue de nez, sept ou huit mètres carrés, pas beaucoup plus. Un lit simple engoncé là-dedans, une table souvent pliée et un lavabo sans eau chaude. Sous la fenêtre, juste une plaque électrique et quelques ustensiles.

Je ne l’ai utilisé qu’une seule fois en deux ans…

Je ne sais plus trop comment les choses se sont passées, mais le fait est qu’au matin elle était collée à moi diffusant sa douce chaleur à tous les pores de ma peau, sa main sur mon ventre, ses lèvres sur mon cou, elle dormait encore. 

Une seule question me taraudait : « Mais putain bordel de merde ! Comment elle s’appelle ? »

Je n’ai jamais eu la mémoire des prénoms, ce n’est pas de ma faute…

Ou alors, me l’avait-elle vraiment dit ? 

Dans l’ambiance de cette belle soirée, du vin, de la danse, et puis ce retour au petit matin.

Plus de train…

« Si tu veux venir dans mon petit gourbi… »

Mes intentions étaient honnêtes, je le jure ! Et puis un petit lit de 70, plus n’aurait pas tenu, la chaleur de nos corps, l’ardeur de la jeunesse, cette insouciance des torpeurs alcooliques. Un bisou, une caresse, comme un jeu ; un joli jeu et puis…

Un doux baiser sur l’épaule, elle s’est réveillée. Je l’observe, elle sourit. Sa main glisse lentement de mon ventre vers d’autres vigoureuses renaissances. Bouche goulue, communion des chairs et des sens. L’on a 20 ans et toujours cette interrogation…

Encore couchée sur moi, tandis que nos corps reprennent leurs esprits, elle plonge son regard dans le mien :

— Et c’est quoi ton petit nom ? Qu’elle me balance dans un sourire.

Me voilà rassuré sur ma goujaterie. Je la renseigne et lui demande le sien en retour.

Grand éclat de rire…

— Céline qu’elle me dit.

Céline quel joli prénom, celui de mon premier amour en primaire, je me souviens de ses yeux bleus.

Du coup je bande de nouveau…

Maintenant que l’on sait  nos patronymes, l’on peut devenir intime.

Je ne voyais pas encore quelle place étrange elle prendrait dans ma vie…

Le soir, je l’ai déposé avec un dernier baiser à la gare saint Lazare. Juste un numéro en échange du mien, « je suis chez un pote qu’elle me dit » ; pas de téléphone portable à l’époque, pas plus d’internet.

Lâcheté masculine ? Je n’ose pas rappeler…

Trois mois ont passé, c’est elle qui téléphone : « Je n’ai pas le moral, tu veux bien me prendre dans tes bras ? » 

Paris, petit hôtel crasseux, son odeur, nos peaux, surtout ne rien se promettre.

Plus tard, c’est moi qui ai crié à l’aide ; peine de cœur, besoin d’être consolé.

Et puis la vie continuait, elle disparaissait, réapparaissait, on s’apaisait de nos maux, on faisait l’amour…

Nous étions nos bouées mutuelles, nous voir nous faisait du bien, nos corps se connaissaient. Nous n’avions envie de rien d’autre, quelques heures, quelques jours, quelques mois ; jamais plus.

Presque 15 ans d’aller-retour de copinage de bon aloi et puis un jour elle m’a dit qu’elle l’avait rencontré, loin là-bas, en Amérique du Sud. Je n’en sais pas plus. Je me souviens que mon cœur c’est serré, cette boule dans mon ventre…

La nuit fut belle, le lendemain elle est partie, je ne l’ai jamais revu.

C’était un jour d’avril 2001

Je m’aperçois aujourd’hui que je ne connaissais rien d’elle, même pas son nom de famille. Pour moi, c’était juste un ange qui apparaissait de temps en temps.

Je me demande ce qu’elle est devenue, est-elle encore de se monde, mariée, des enfants…

Elle m’avait fait serment que si un jour elle avait un fils, il se nommerait comme moi…

J’avais promis que si j’avais une fille elle s’appellerait Céline…

Cette année, de nouveau depuis longtemps, j’ai pensé à elle. J’aurais voulu lui téléphoner et lui dire « console-moi » ; on aurait fait l’amour et après, dans un grand éclat de rire, je lui aurais dit : « Excuse-moi, mais c’est quoi ton petit nom déjà ? »