Si je dis « été 36 », immanquablement l’on me répondra, « front populaire » « Congés payés ». C’est là surtout ce que retient la souvenance historique française.

En Espagne c’est différent, puisque c’est le début de la guerre civile où vont se mêler anarchiste, communiste, nationaliste, franquiste et autres révoltés de tout poil, dans un immense bain de sang…

C’est ce que nous narre Lydie Salvayre, par la voix et la gouaille de sa mère dans “Pas pleurer”. Si cette dernière a perdu la mémoire, elle se rappelle encore avec bonheur ce bel espoir libertaire et insurrectionnel dans lequel elle fut entraînée au premier jour de l’été 1936 alors qu’elle n’avait que 16 ans. Montse, tel est son nom, quittera son village pour suivre son frère à la ville, y vivre la ferveur révolutionnaire du début, celui où l’on y croit, où tout est possible. Elle y rencontrera le grand amour, un combattant français qui repartira à la bataille après l’avoir mis enceinte.

Commencera alors le désenchantement jusqu’à l’exil de l’autre côté des Pyrénées.

Faut pas pleurer de Lydie Salvayre

En parallèle de la parole de sa mère, l’auteur met en contrepoint celle de Bernanos, témoins directs de ce conflit, d’abord dans l’autre camp avant de dénoncer à son tour « la terreur exercée par les Nationaux avec la bénédiction de l’Église contre « les mauvais pauvres ». »

D’une écriture tantôt fine et précise, tantôt débridée Lydie Salvayre nous replonge dans les heures les plus sombres de l’histoire de l’Europe.

Ce livre est également une charge contre toutes formes de fascisme et de dictature, quelle qu’en soit la couleur. Leurs mécaniques aussi, les diatribes idéologiques, la démagogie de tout les camps. Les massacres perpétrés par les phalanges franquistes, fusillant par centaine avec le soutien sans faille et la bénédiction de l’Église catholique espagnole, ceux qu’ils considéraient comme ennemis mais aussi les luttes fratricides entre communistes, guidés par les « hommes de Moscou », et les autres révolutionnaires, libertaires en tête. Sur ce dernier sujet, ce roman m’a rappelé « La Capitana » d’Elsa Osorio dont je vous avais déjà parlé.

Que des rappels qui interpellent à l’heure où en Europe ressurgissent des discours que l’on aurait voulu d’un autre temps…


Pour ma part je trouve qu’il s’agit d’un très bon bouquin, passionnant et bien écrit…

4e de couverture :

Deux voix entrelacées.

Celle, révoltée, de Georges Bernanos, témoin direct de la guerre civile espagnole, qui dénonce la terreur exercée par les nationaux avec la bénédiction de l’Église catholique contre les « mauvais pauvres ». Son pamphlet, « Les grands Cimetières sous la lune », fera bientôt scandale.

Celle, roborative, de Montse, mère de la narratrice et « mauvaise pauvre », qui, soixante-quinze ans après les événements, a tout gommé de sa mémoire, hormis les jours radieux de l’insurrection libertaire par laquelle s’ouvrit la guerre de 36 dans certaines régions d’Espagne, jours que l’adolescente qu’elle était vécut avec candeur et allégresse dans son village de haute Catalogne.

Deux paroles, deux visions qui résonnent étrangement avec notre présent, comme enchantées par l’art romanesque de Lydie Salvayre, entre violence et légèreté, entre brutalité et finesse, portées par une prose tantôt impeccable, tantôt joyeusement malmenée.