Il est marrant comme des livres peuvent vous fuir pour mieux se faire désirer ; un peu comme en amour…

Celui-ci, depuis 2002, j’ai dû le commencer dix fois ici et là sans jamais arriver à le finir pour cause qu’il n’était pas à moi et qu’il me fallait m’en retourner autre part !

 

En décembre, j’ai enfin réussi à mettre la main dessus et je ne l’ai plus lâché, jusqu’à la dernière page.

 

Le maître de Garamond d’Anne Cunéo ferait partie, sans hésiter une seconde, de ma bibliothèque idéale.

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C’est l’histoire des débuts de l’imprimerie avec sa conséquence directe le débuts des guerres de religions et la genèse de la réforme protestante. L’imprimerie comme arme contre l’obscurantisme imposé, comme arme de propagande et surtout tout le savoir, bon ou mauvais à portée de ceux qui ont appris la lecture. L’obligation de codifier une écriture pour le français courant alors principalement parlé, d’où l’invention des accents entre autres. Toute la recherche sur les fontes afin de trouver quelque chose de plus facile à lire, quelque chose de pur, de fluide, le travail d’une vie pour ces nouveaux chercheurs.

C’est aussi la rencontre entre des penseurs, des humanistes, des hommes qui veulent avancer ; leur confrontation également, avec le pouvoir, celui du roi, et pire, celui de l’église omniprésente, avec son intégrisme, ses œillères idéologiques, la chasse aux hérétiques. L’imprimerie devenue arme du diable et les imprimeurs des suppôts de Satan…

 

L’invention de l’imprimerie a bouleverser l’humanité à un point à peine imaginable, c’est à cette époque que nous replonge ce magnifique livre. De plus, sa lecture résonne curieusement avec les événements récents à Charlie, l’intolérance religieuse de certain portées fièrement en bandoulière ; 500 ans d’écart et cette triste impression que malgré les savoirs nouveaux, rien n’a changés dans l’esprit haineux de certains humains…

 

Soyons honnêtes mon engouement pour ce roman historique n’est pas tout à fait fortuit non plus ; il est en quelque sorte familial.

Membre d’une grande famille parpaillote, tout ce qui touche la religion dite réformée est au cœur même de mon histoire familiale paternelle dont la généalogie remonte au minimum en 1590 avec mon premier ancêtre direct certifié et connu ; protestant, cela va de soi !

Ensuite une partie importante de l’histoire, se passe en Suisse, à Neuchâtel, ville natale de ma mère, dans des lieux où gamin, et encore aujourd’hui, j’ai traîné mes godillots ; je vois très bien les chemins pentus qui mènent à la collégiale.

Certains personnages réels de ce Roman historique ne me sont pas non plus inconnus. Ma tante et mon oncle ont longtemps habité la rue Guillaume Farel, un des principaux réformateurs religieux et théologiens de l’époque. J’y ai passé nombre de vacances scolaires et me rappelle encore par cœur l’adresse à donner si je me perdais. Une autre tante habite rue Pierre de Vingle, imprimeur de Guillaume Farel entre autres, qui imprima une des premières Bibles en Français et surtout les fameux « Placards contre la messe » qui vaudront tant d’ennuis à Antoine Augereau le maître de Claude Garamond.

[edit] À la demande de Cristophe et de Diablotin (Qui m’a fournis l’image), voila ce que donnerait ce texte en Garamond ;-)

Garamond

Bref, si ce n’est déjà fait, à lire de toute urgence, tant pour le coté historique que philosophique, mais aussi pour le style fluide et agréable, accrocheur, d’Anne Cunéo.

 

4e de  couverture :

 

Le 24 décembre 1534, place Maubert, pendant que chacun s’apprête à fêter Noël, un imprimeur, suspect d’hérésie, est pendu, son corps et ses livres brûlés.

Homme de lettres, érudit, Antoine Augereau a connu les intellectuels les plus brillants des débuts de la Renaissance, à Fontenay-le-Comte où il passa son enfance à l’ombre du couvent qui accueillait François Rabelais, à Poitiers durant son apprentissage, et enfin, rue Saint-Jacques où il s’installa en ces temps où elle abritait plusieurs imprimeurs par maison. C’est là qu’il a publié François Villon ou Clément Marot, là qu’il a inventé l’usage des accents et de la cédille, là qu’il a gravé et transmis les caractères typographiques qui ont modelé ceux dont nous nous servons encore de nos jours.

Comment cet humaniste est-il parvenu à s’attirer les foudres des théologiens de la Sorbonne ? La publication du Miroir de l’âme pécheresse de Marguerite de Navarre, sueur du roi François Ier, fut-elle la vraie cause de sa perte ? Parce qu’il s’indigne autant qu’il cherche à comprendre, Claude Garamond, le plus célèbre de ses disciples, entreprend de raconter son histoire. L’histoire passionnante et bouleversante d’un être généreux, ennemi de tout fanatisme, mais prêt à mourir pour défendre ses idées.

Comme pour Le trajet dune rivière (prix des libraires 1995), Anne Cuneo, dans une éblouissante mise en scène romanesque, dévoile et rend justice à un personnage hors du commun. 

 

Citation : 

 

« les évangéliques intransigeants m’insupportent tout autant que les Romains bigots. Pour les mêmes raisons : lorsqu’on se laisse aller aux extrêmes, ce qui est plus facile que de réfléchir, on devient idiot. Les idioties sont différentes, mais elles n’en sont pas moins des idioties. Toutes. Et elles sont dangereuses. Il faut discuter, et non s’entre-tuer. Sinon l’humanité ne s’élèvera jamais plus près du ciel. »

 

 

« Tropologique ?

symbolique, si tu préfères. Mais les doctes disent tropologique. Toujours préférer le mot savant, voilà la règle de ces messieurs ; sinon, on risquerait de comprendre trop facilement. Entre allégoriques, tropologique et analogique la différence est subtile, n’est-ce pas ? Mais pour ces savants, c’est tant mieux : ça leur donne du travail, ils peuvent se disputer, et surtout ils peuvent faire dire aux textes sacrés exactement ce qu’ils veulent. Inexactement, devrais-je dire. C’est pour cette raison la que je n’ai pas voulu faire de la théologie mon métier. Les gloses, très peu pour moi. »

 

 

 « J’ai passé ma jeunesse dans un monde où tout s’écrivait à la main ».  M’a-t-il expliqué entre deux correction. « un monde où il semblait que rien ne changerait jamais. Et depuis que je suis un homme, ce monde s’est élargi, a doublé de volume, certains murmurent même que la terre pourrait n’être pas aussi plate et limitée qu’on l’a dit. On a parlé d’un moine polonais, un certains Copernicus… Et comme si cela ne suffisait pas, on a inventé le moyen de répandre les idées à la vitesse de l’éclair. »

 

 

« n’oubliez pas, mes enfants : la manière dont l’écriture sera couchée sur le papier, le fait qu’elle soit ou non lisible, cela est aussi vital que la pureté même du texte. »

 

 

« Je le sais comme si je pouvais lire dans le grand livre de l’avenir : Maître Beda et ce qu’ils représente sont des perdants. Si le seul moyen de proclamer une vérité est de tuer tout le monde, c’est que cette vérité n’est pas aussi pure qu’on veut bien le dire. »

 

 

« il est capital, bien entendu. Après des siècles d’obscurantisme et de monopole de la vérité, l’imprimerie ôte aux théologiens le vernis de respectabilité qu’ils ne méritent plus. On peut enfin juger par soi-même.

Et la traduction est tout aussi important. Il va falloir que tout cela soit dit aussi en langue vulgaire, pour ceux qui apprennent la lecture mais non le latin. »

 

 

 « C’est parce que nous venons d’un monde où l’imprimerie n’existait pas encore » a-t-il rétorqué lorsque j’ai exprimé  mon étonnement. « Nous étions forcés d’exercer notre mémoire. Maintenant, pour vous, c’est la belle vie. On imprime les choses, et puis on peut les laisser s’estomper. On a plus qu’à consulter les livres. » Il a poussé un soupir à faire tourner un moulin. 

 

 

« Je ne comprends plus ce qui se passe. Nous découvrons des continents, Dieu nous fait don du livre, une invention fabuleuse, tout change. Et derrière ce chariot tiré par quatre chevaux fougueux vers l’avenir, quelques médiocres s’accrochent en criant arrêtez, arrêtez, revenez avant, lorsque nous vivions dans les brouillards de l’époque gothique. Pourquoi les gens ont-ils peur de lever la tête vers le soleil du savoir ? Comment ne pas vouloir purifier la Sainte Parole ? Personne ne veut quitter l’église de Rome : ils nous en chassent. Vous vous rendez compte ? Laissez venir à moi les petits enfants, disait le seigneur et lorsque nous avons trouvé le moyen de faire connaître l’écriture à tous, un Beda vient nous dire que de la traduire, nous sommes hérétiques. Dans quel monde vivons-nous ? »