Je vous parlais, il y a quelque temps, d’Océan, le livre d’Yves Simon, qui m’avait fortement marqué quand je l’ai lu au sortir de l’adolescence et dans lequel je m’apprêtais, non sans une certaine appréhension, à me replonger ; cette peur de ne pas y voir ce qui m’avait fait vibrer 30 ans plus tôt !

 

Si je n’y ai certes pas retrouvé cette ferveur qui m’avait alors animé, je pense que je suis un peu moins fleur bleue qu’à l’époque, j’y ai pris néanmoins beaucoup de plaisir à le relire. J’ai aussi compris pourquoi à cette période il m’avait tant marqué !

 

Il est amusant de constater ce que l’on en avait gardé en mémoire, les scènes que l’on considérait comme clef, et ce que la réalité de l’histoire vous fait redécouvrir. Le bonheur d’accompagner Leo-Paul Kowsky dans ses 29 premières années de vie. Une lecture différente à l’aune de mon propre vécu depuis tout ce temps.

 

J’apprécie toujours autant le style d’Yves Simon, un peu fouillis, romantique, où la poésie n’est jamais loin. Je ressens son amour des mots.

Ceci dit, « Océan » reste un livre très marqué année 80, dans son histoire, sa manière d’être, son phrasé, qui aujourd’hui ferait un peu iconoclaste dans la littérature contemporaine.

 

Océan d’Yves Simon, aux Édition Grasset est un joli moment de lecture.

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4e de couverture :

 

Des rêves de l’enfance à la réalité du monde, Océans est l’histoire d’une vie. À Monterville, station thermale de l’est de la France, les océans sont de lointains mirages… Pour Léo-Paul Kovski, petit-fils d’émigrés polonais, tendre et fantasque enfant des années soixante. Pour son père, conducteur d’une locomotive volée, qu’il rêve de faire un jour échapper à ses rails. Pour sa mère, infirmière, qui ne voudrait pas de limites à son dévouement. Pour ceux de son âge, ses amis, qui se cherchent et s’éveillent en même temps que lui. Pour Marie, l’amour de jeunesse, si longtemps inaccessible. Point de cyclones ni de déluge quand, après une longue fugue, Léo-Paul rencontre pour la première fois l’océan, lieu poétique et géographique de toutes les immigrations. Puis ce sera Paris, le travail, les femmes, la violence, l’écriture, la réussite… Et aussi l’étrange, la poésie, l’inquiétude, les voyages, la politique. Tout ce qui aura fait le paysage intellectuel et sentimental d’un jeune Français de notre époque : vingt ans de sa vie, admirablement saisis, retrouvés, reconstruits, à la lumière du réel et de la mémoire.

 

« Les aventures de Léo-Paul m’ont enchanté et j’ai passé à les lire un moment merveilleux […].

Yves Simon est un de ceux dont l’œuvre aujourd’hui m’importe énormément, et sous toutes ses formes. »

Michel Foucault, février 1984.



 

 

Citation :

« – L’histoire vraie des gens est toujours avant et après ce que l’on voit d’eux, et c’est là qu’il faut chercher pour trouver les sentiments, avec des vrais bonheurs et des vrais malheurs ! »

 

« Dans le tumulte des vagues, j’ai imaginé toutes les mémoires des hommes rassemblés, criants sous le vent leurs mots enfermés et les douleurs cachées… »

 

 

« – Pascale… C’est ça que vous vouliez savoir ? Lui, c’est Philippe et c’est sa première fois. Alors j’ai voulu l’aider… (Léo-Paul la regarda rallumer la cigarette qui venait de s’éteindre.) Je croyais que c’était bien plus cher, continua-t-elle… 60 francs ! Je voulais lui offrir un livre de la Pléiade pour ses 20 ans… Mais j’ai pensé que c’était plus urgent, ce cadeau-là.

Elle désigna l’hôtel d’en face où venait de monter son ami.

– Moi, j’ai 23 ans dans deux semaines, dit Léo-Paul en souriant.

– Mais vous n’êtes pas mon ami, et puis vous avez déjà fait l’amour, je l’sais…

– Comment, « vous l’savez » ?

- Les yeux des garçons ne sont pas les mêmes. Vous, vous me regardez en jaugeant si ce serait agréable de passer une nuit avec moi… Lui, il regardait les filles en se demandant si elle serait douce et s’il n’aurait pas peur. »

 

 

« C’est cela le malheur des histoires d’amour et des mariages, des gens qui ne pensent pas le temps de la même façon et ne se sentent pas relier aux autres de manière identique. »

 

 

« C’était donc cela, « le temps qui passe », se dit Léo-Paul. Des visages qui se perdre et s’éloigne à des vitesses différentes vers des points qui les attirent, pour y exulter ou y mourir… »

 

 

« La main d’Éva était posée sur celle d’Hanna. Elle venait de traduire en allemand une nuance de français qu’Hanna avait eue du mal à comprendre, et elles riaient de cette difficulté. Léo-Paul écarta les photographies, puis s’allongea au milieu du lit, entre elles, à plat ventre. Il posa la tête sur ses deux mains réunies qui, après un moment, se mirent à lui caresser les cheveux et le visage. Les yeux fermés, il s’apprêta à vivre cette brèche du temps qui était en train de s’ouvrir, mystérieuse, noire et constellée d’étoiles, brèche de ciel où ils allaient dériver. Léo-Paul se retourna et leurs trois bouches, sans autre préliminaire, se réunirent. Leur voyage commença. Quand ils se réveillèrent le lendemain, ils surent qu’une parenthèse venait de se refermer, qu’elle avait été remplie d’étrangeté et de vie, leurs vies à eux. Qu’ils n’oublieraient pas et porteraient en secret ce cadeau d’un soir, qu’ils s’étaient eux-mêmes surpris à s’offrir. »