Beaucoup de mots pour presque rien

Derrière son rire, elle pensa: ” quel est donc ce bastringue qui pense avoir un charme démoniaque, cet étranger dont la bouche ne me sert que des fariboles ? S’imagine-t-il que je vais gober son galimatias ? Je sens bien qu’il se croit maitre d’un jeu dont je n’ai pas tout deviné, mais tout cela finira dans un bain d’hémoglobine, je me laverai dans son sang ! ” Elle donna l’ordre de servir la suite illico presto, elle voulait se retrouver seule pour établir son plan qui anéantirait ce faux jeton.

Le dessert la calma, le froid du sorbet s’insinua en elle, la glace vint éteindre le feu. Elle changea d’idée. Il fallait qu’elle l’observe plus longtemps. Cet homme était venu en ennemi, elle le sentait, elle devait prendre son temps. Elle demanda : “Quels sont donc vos talents Xénon, en dehors de votre voix et de votre sens de l’humour qui sont des armes certes utiles mais bien légère pour parcourir le monde comme vous semblez l’avoir fait ?”
- Je sais me battre, j’ai séjourné en Asie quelque temps
- Oh ! Vous faites du karaté sans doute ? Comme c’est mignon.
- Je pratique les Arts martiaux en général.
- Avez-vous déjà tué ?

La question était posé sur le même ton badin. Il observa ses yeux pour y discerner son intention, mais il s’aperçut qu’ils étaient faux eux aussi, elle portait des lentilles qui changeaient de couleur au gré de la lumière et lui donnait ce regard à la fois étrange et terrifiant. Il sentit qu’il avait commis une erreur, il était important qu’elle le prit pour un matou docile et ronronnant, il devait dominer son orgueil et flatter le sien. Néanmoins, cette erreur lui avait appris quelque chose.
- Non, je n’en ai jamais eu besoin.

Le silence s’installa jusqu’à la fin du repas. C’est alors qu’il lui offrit son cadeau. Chaque individu la voyant pour la première fois le devait. Elle mettait au défi ses invités de la surprendre. Ce qui arrivait rarement. Elle défi le paquet, son petit sourire de glace toujours sur ses lèvres. Qu’avait il bien pu imaginer ? Il était intelligent, pas suffisamment pour l’égaler mais tout de même. Partagée entre l’espoir et l’appréhension d’être enfin surprise, elle défit le défi. C’était une ombrelle de papier, la couleur était délavée, le bois du manche même pas sculpté. Une ombrelle pour la reine glacée, au pays des icebergs. Elle n’avait de précieux que son inutilité absolu. Elle aima ce cadeau et n’aima pas l’aimer.

Elle remercia sans chaleur et l’invita à quitter la table. Ils se retrouvèrent au Paradis. C’est ainsi qu’elle appelait cette salle, elle portait bien son nom. La magie résidait dans le fait que l’illusion d’être dans le ciel, installé sur des nuages était parfaite. D’ici, elle pouvait véritablement se prendre pour une déesse. Un quatuor à corde jouait quelque part, hypnotique. Il sentait une dangereuse mélancolie l’envahir. Il ne devait pas laisser ses émotions affleurer, il devait se souvenir qu’il était là pour ratiboiser sa mégalomanie, transformer cette mante religieuse en inoffensive sauterelle, couper une à une ses tentacules de tentatrice, réchauffer ce cœur froid et le briser.

Mais la musique, le paradis, un ululement doux et lancinant eu raison de sa vigilance. Il s’endormit. Elle le regarda longuement, abandonné, fragile, beau et se souvint avec regret qu’elle devrait fatalement le tuer.

Le lendemain, il se réveilla en sursaut. Il était dans une chambre, qui l’avait donc transporté ? Sa valise avait été défaite. On l’avait installé. Partagé entre la victoire d’être toujours en vie et d’avoir passé la première nuit et la défaite de s’être mis à sa portée si facilement, il commença la journée par une séance de méditation. Il devait sortir de lui le tumulte. Quand il revint de sa transe, il savait que c’était en restant humain qu’il l’atteindrait.

Dans la chambre, se tenait un homme si immobile qu’il en devenait presque invisible. Quand était il entré ? Il se présenta ” Je suis votre… comment dire… majordome, pour la duré de votre séjour. Je me nomme Watt, comme l’énergie pas comme la question”

Il se regardèrent en silence, puis Xénon sourit.

-Bonjour Watt, où est servi le petit déjeuner ?
- Dans votre chambre Monsieur. Thé ? Café ?
- Café
- Monsieur est étranger à nos contrés n’est ce pas ?
- Cela vous pose un problème Watt ?
- Monsieur, je n’ai pas suffisamment de pouvoir pour avoir le moindre problème. Nous savons tous que la maitresse des lieux est Xénophile. Si monsieur est toujours parmi nous ce matin, c’est que monsieur a su se montrer suffisamment exotique pour retenir son attention. Formage blanc ? Yaourt ?
- Yaourt…