La pièce était calme, trop calme pour engager une conversation ou développer une pensée . Juste la musique entêtante d’un Mario courant, sautant de champignon en champignon à la recherche de bonus improbable. L’enfant, calme, concentré, sortit de notre monde le temps de sa partie, le regard fixe, les doigts virevoltants sur les boutons de la manette. Il était à son affaire !
Me faire cela à moi, à deux jours de la retraite. J’aurais pu rester tranquille au bureau à finir de classer la paperasse. Non, j’ai voulu aller sur le terrain une dernière fois, avec Jacques qui devait me remplacer, et la petite nouvelle arrivée ce matin de l’école. Ma dernière, et sa première…
Dans la rue, le voisin qui nous avait appelés nous expliqua qu’il avait entendu un cri qui lui avait fait froid dans le dos. Pas les cris habituels de ce couple qui passait son temps à s’engueuler, mais bon ce n’est pas notre problème, non là, c’était autre chose, de terrifiants, d’ailleurs si je vous ai appelé…
J’avais sonné, pas de réponse… Le voisin insista, si si, il y a du monde… Merci Monsieur, retournez chez vous…
La porte n’était pas fermée à clef, je la poussais prudemment et rentrais… C’est marrant comme il y a des ambiances qui tout de suite sentent l’anormal, le bizarre, qui vous mette mal à l’aise…
Je suivais la musique de Mario, qui venait du fond du couloir, j’entrebâillais une porte, et sus que cette image, je l’emporterai dans ma tombe, à jamais ! La petite nouvelle était déjà en train de se vider de son repas de midi, pour la première fois de sa carrière. On s’endurcit avec le temps, on apprend à manger léger…
Je pensais avoir tout vu, mais là, il y avait dans l’horreur une petite pointe de surréalisme qui faisait toute la différence. C’était le calme après la tempête…
- Tu t’appelles comment ?
- Augustin
- Tu as quel âge ?
- 12 ans
- C’est ton papa ?
Il fit une pause dans son jeu, et regarda dans la direction de mon doigt la masse humaine allongée sur le sol, qui finissait de se vider de son sang, une partie des tripes à l’air.
- Il voulait encore faire du mal à maman ! Et moi je voulais plus !
Et il reprit son jeu…
- Et là c’est ta maman ? Demandais-je en désignant l’autre corps, quasiment à ses pieds, un gros couteau de cuisine dans le ventre, et qui lui aussi finissait de refroidir.
- Elle criait très fort, elle avait mal, maintenant elle n’a plus mal… Vous devriez aller voir ma petite sœur, elle pleure dans sa chambre, elle est trop jeune, elle peut pas comprendre…
Il venait de passer le douzième niveau et s’attaquait au treizième…
Je regardais ce petit bonhomme, rouge de sang de la tête au pied, c’est que cela pulse une artère…
Je me tournais vers la petite nouvelle : bienvenue dans un monde plein de surprises…
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Billet initialement publié (et légèrement modifié )
le 07 juin 2008…
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