Certains soirs, pour faire mon intéressant, il m’est arrivé de monter sur une chaise, de me draper dans un torchon à carreaux et de déclamer une poignée de vers avec des accès de lyrisme proportionnels à mon taux d’alcoolémie. Il s’agissait de l’extrait suivant : « C’est pas marqué dans les livres / Le plus important à vivre / C’est de vivre au jour le jour / Le temps c’est de l’amour ». Et puis, quand le temps et la générosité s’y prêtaient, Isolde et Xave me rejoignaient pour un final en trio, qui laissait rarement notre public sur sa faim. Quand il n’y avait plus rien à mettre sous la queue du tire-bouchon, tout cela se finissait bien souvent sur un trottoir, voir même quelquefois à la maison poulaga. Cellule de dégrisement qu’il appelait cela, c’est comme une chambre à coucher, mais les barreaux ne sont pas ceux du lit qui d’ailleurs n’existait pas, remplacé par un vague banc en béton agrémenté de quelques couvertures puantes et crasseuses. Nous avions souvent la compagnie de quelques autres fêtards d’humeur badine, mais aussi de poivrot chevronné, la gueule rouge et le nez pivoine, tirant dans les cas extrêmes vers le parme. Nous étions jeunes et immortels. Nous passions le temps à réveiller le planton de service pour lui demander si la 9e décimal du nombre pi était un 3 ou 4, si c’était bien Brahms qui avait composé la neuvième de Beethoven ou si c’était blanc sur rouge ou rouge sur blanc qui rendait malade, parce que le pochtron au bout, il n’avait pas l’air d’aller bien…
Finalement, on nous foutait à la porte, alors que nous protestions que nous n’avions pas vu les conditions de vente du court séjour que nous venions de faire! C’était il y a quarante ans déjà et nous en avions vingt…

Voilà à quoi je pensais en relisant le faire-part m’annonçant que la cérémonie d’adieu en mémoire de Xave et Isolde, aurait lieu le 6 avril prochain entre midi et treize heures. Drôle d’heure pour une cérémonie !
Ils ont été fauchés par une voiture conduite par un jeune de 18 ans, en état d’ébriété…

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Première publication le 29/03/2009 dans le cadre du Sablier de printemps (amorce 5 et provenant de Réhabilitons un grand auteur, de M. LeChieur.) plus le jeux des 10 mots (soulignés) à caser dans le texte ;-)