Pleine mer à 22 heures 02, encore quelques minutes, je guette le moment où les vagues ne gagneront plus de terrains sur le sable.

J’ai rangé les écouteurs je ne veux que le bruit des vagues et du vent ; les bruits du monde originel.

Il fait nuit et pourtant il fait doux, c’est à cause du suroît qui souffle de plus en plus fort, la météo parle d’alerte au coup de vent avec des rafales atteignant 60 kilomètres heure jusqu’à demain 16 heures. Je marche contre lui, j’aime bien sa gifle sur mon visage, les cheveux fous je suis heureux face aux éléments qui se déchaînent. J’aime cette puissance, cette force dangereuse, mais majestueuse. J’aime si cela bouge, les mers d’huile m’emmerdent quand je suis sur un bateau.

Je repars dans mes rêves d’adolescents, à la poursuite de Tabarly, Loizeau ou Malinosky, en course autour du monde, toute voile dessus dans la colère des quarantièmes rugissants, cela passe ou cela casse, pas de choix…

À gauche, bâbord pardon, le phare de la pointe du Groin, en face celui des îles Chausey et à tribord Granville…

C’est beau une plage la nuit…

Je suis seul, et j’ai envie de rire, de rire et de pleurer, de pleurer et de rire au fil de mes pensées ; de confier aux vagues mes bonheurs et mes tristesses.

Voila déjà Carole et ses rochers encore sous l’eau, demi-tour…

Que de souvenirs ici, des bons, et des meilleurs…

Cette plage je l’ai arpenté, seul, à deux, en amoureux, à dix…

En long, en large et en travers…

Au coucher du soleil, au petit jour, au milieu de la nuit…

Tiens une fille. Elle a l’air jolie.

Elle s’approche de moi : « Bonsoir, je suis seul ce soir, j’ai envie de faire l’amour ».

Non je déconne, il n’y a que dans les films que cela se passe comme ça !

Elle regarde juste la mer… Peut-être pense-t-elle à son amoureux ?

Mon « bonsoir » a dû se perdre dans le fracas du vent ; je ne m’arrête pas. De toute manière je n’oserais pas l’aborder, et puis elle n’en a sûrement pas envie, et je n’ai jamais sur faire, et je ne veux pas l’emmerder, et…

J’aurais aimé qu’elle m’aborde, juste me proposer de faire quelques pas avec elle, boire un coup…

L’eau recule imperceptiblement laissant derrière elle un sable encore trempé.

Je repense à tous les gens croisés aujourd’hui, que des belles rencontrent, des promesses, de la joie…

La lune joue à cache-cache avec les nuages ; si je pouvais, j’éteindrais bien les réverbères du front de mer, leurs lueurs jaunes blafardes me dérangent.

Je voudrais juste la nuit le vent et l’océan…

Je revois ces dernières années, une pointe de nostalgie déferlant au rythme des vagues. Les ans passent de plus en plus vite. Je suis de plus en plus vieux; J’ai l’impression qu’avant-hiers était hier !

 Je ne veux juger ni les faits, ni les choses, ni les gens. Il y a eu du bon et du mauvais. De la réussite et des échecs. Je regarde où j’en suis, ce n’est pas la première fois, il y en aura d’autre…

Sois fière de ce que tu es et laisse les médisances aux sots !

Demain le futur…

Tiens une étoile filante…

Je fais le vœu que mes rêves se réalisent…

Je vois qu’il y a quelques chimères parmi eux, mais ce n’est pas grave, l’existence est parfois surprenante…

Je rêve, j’y crois, mais n’allez pas penser que je sois béjaune[1] , je ne suis pas né de la dernière pluie, et je sais que les choses ne se passent rarement comme on l’a imaginé.

Cela fait du bien de rêver…

Finalement, la vie est comme cette mer, tantôt calme tantôt agité en fonction de fluctuation météorologique qui nous échappe souvent, elle déferle en rouleau destructeur ou au contraire, viens délicatement lécher le sable.

La seule différence, c’est que là où les flots effacent la trace de mes pas juste derrière moi, la vie attendra ma mort pour le faire…

Et croyez-moi, je ne suis pas pressé !!!

Il est tard, le feu crépite dans la cheminée, dehors le vent se déchaîne de plus en plus, demain je rentre ; je ne suis pas certain d’en avoir envie…

Front de mer


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Notes :

[1] Béjaune : Oiseau jeune et niais, qui a encore le « bec jaune ».