Ce jour-là, je me rendais au cinéma.

Discrètement, je l’avais observé faussement absorbé par mon livre.
Jolie brune entre trente-cinq et quarante ans, les yeux clairs, une bouche fine et un petit nez aquilin. Par son blouson ouvert, une chemise légèrement échancrée offrait de deviner le début d’une poitrine prometteuse qui eu du mal à me laisser de marbre.

Rencontre éphémère des fameuses passantes de Brassens…
Au pire la revérais-je dans une songerie matinale ?
J’ai beaucoup d’imagination en ce moment…

Le train s’est arrêté, je me lève, elle me bouscule d’un léger frôlement. Elle s’en excuse d’un sourire que je lui rends immédiatement. Tout le plaisir était pour moi.
D’un pas alerte, elle me passe devant en laissant traîner dans son sillage les flagrances d’un doux parfum qui me fut un temps familier.
Souvenir, nostalgie…
Ses cheveux longs viennent caresser les hauts de ses reins, chanceux qu’ils sont, tandis que son postérieur, parfaitement moulé dans un jeans ajusté au plus près, se dandine au rythme de sa foulée énergique. Il ne m’en fallait pas plus pour tomber immédiatement amoureux et rêver de prendre cette paire de fesses à pleine main, d’embrasser goulûment ses lèvres, de mignoter cette beauté tentatrice…

Las…

Je me mis à la filer, non pas par malsaine perversité, je sais me tenir et garder mes fantasmes au chaud, mais simplement parce qu’elle eut la sainte idée d’aller dans la même direction que moi.
Pourquoi précéder ce qui est si agréable à suivre ?
C’est donc, avec 10 mètres de retard, les yeux rivés sur un arrière-train que j’aurais voulu siffler bien plus de trois fois, que je traversais les quais de banlieue, dévalant quelques volés d’escalier, passâtes nombre de barrières, parcourus de longs couloirs mornes et clairs, empruntais un tapis roulant, pour finir moi debout, elle assit sur un strapontin, dans un wagon de la ligne 4. Vu de là, le décolleté était bien plus attendrissant — manière de parler parce qu’en réalité… — et ostentatoire ; regard coquin, sourire, je pense qu’elle n’est pas dupe, je me plonge dans mon livre…
Du moins, j’essaie !

Je me lance un défi, si elle decend à Saint Michel et qu’elle va au même film que moi, je l’aborde, lui cause…
On arrive, je me place devant la porte, la main sur la poignée, sans trop y croire je jette un œil, elle se lève et vient se mettre à côté de moi. J’ouvre, la laisse sortir et reprends ma filature.
Longue remontée vers la surface, l’air libre, le cinéma, elle s’approche…

Et passe sans s’arrêter…

Je n’ai jamais gagné au loto…

Trois heures plus tard, retour dans mon train de banlieue, j’ai encore son image dans la tête. C’est fou comme des inconnues peuvent vous marquer. On va partir, je replonge dans mon livre.
Elle vient s’asseoir en face de moi.
Il y a plein d’autres sièges de libres, pourquoi celui-là ?
Je suis troublé.
Nous descendrons à la même gare ; ce jour-là j’ai regretté de ne pas prendre le bus.

Je m’en veux, je me dis que j‘aurais dû l’aborder, trop de coïncidence, ou alors simple hasard, je ne sais pas.
Mais je n’ai pas osé !
Oser, cela a toujours été mon drame…



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