Aujourd’hui, elle était au crépuscule de sa vie.

Mireille tournait le dos à la mer, mais elle voulait voir l’escalier qui descendait sur cette plage, les avoirs dans son champ de vision quand ils arriveraient, la chercheraient du regard, avant de se diriger tant bien que mal vers elle.

Idée, envie, non un besoin apparu après la visite du médecin. Il avait été question de son grand âge, d’évolution, de point de non-retour, de soin palliatif, de vie et de son inéluctable fin. 

Il avait l’air désolé le toubib, un petit jeune qu’à une autre époque elle aurait bien invité à jouer au docteur. Il avait l’air désolé, mais honnête, alors elle s’est rappelée ce qu’elle s’était promis un jour : revoir les hommes qui avaient vraiment compté pour elle, juste pour qu’ils le sachent… 

Dans tous les bons moments de son existence, elle se disait ce que lui avait dit sa grand-mère : voilà un souvenir à engranger pour quand je serais une vieille dame ; aujourd’hui, il était temps de faire l’inventaire de sa collection.

Elle en parla à Clémence, son aide ménagère, une étudiante qui passait deux fois par jour, pour le lever et le coucher. La jeunesse connaissait internet, elle saurait faire les recherches. Elle lui a donné une liste de neuf noms, neuf patronymes masculins important à son cœur, neuf vies différentes, occasionnellement parallèles, neuf à sortir du lot parmi toutes ces rencontres…

Deux restèrent introuvables, trois avaient déjà fait le grand saut et l’attendaient peut-être de l’autre coté, un, bien que vivant, ne se rappelait plus qui il était. Seuls trois rescapés répondirent à son étrange invitation.

Ce vendredi matin, il faisait beau lorsque Clémence l’installa sur la plage. Mireille lui fit des adieux, ce soir, certainement, quand elle sortirait de cour, ce sera fini. Elle lui donna une clef dorée, c’est une boîte dans la commode de la chambre, c’est pour toi, en remerciement… Non non, ne pleure pas…

En les attendant, elle repensait à tous ces hommes qu’elle avait serrés dans ses bras. Pour chacun deux elle se rappelait leur odeur, le grain de la peau, leur dextérité ou au contraire leur maladresse. Le corps garde en mémoire ce genre de chose, elle en était persuadée ! 

Le premier à se présenter fut André. Plus vieux qu’elle, il avait encore une belle prestance et semblait en pleine forme. Quand elle l’avait connue, il était garçon de café. Au lit ce n’était pas grandiose, mais elle aimait sa sensibilité, sa discussion, et puis il était fou d’elle, ce qui la rassurait.

Henri est arrivé en avance, et cela, elle ne l’avait pas prévu. C’est la première fois qu’Henri et André se rencontraient, elle retrouvait les frissons de l’époque ; officiel et amant cote à côté.

Chez Henry, au contraire d’André, c’est le cul qu’elle recherchait, jeune homme fougueux, en tout cas à 30 ans, il en oubliait bien souvent tout romantisme pour aller droit au but. Elle était un peu son objet sexuel, mais elle adorait cela. Des 5 à 7 ardents avant de retrouver les bras tendres et amoureux d’André. Un peu salope finalement, mais sans regret ; à quoi bon ? Ils repartirent chacun de leur côté, sans savoir que l’autre avait été leur rival, mais avec la certitude d’avoir été aimé au moins une fois dans leur vie.

C’était le but de cette cérémonie d’adieu !

Sylvain se présenta vers 11 heures accompagnées de deux de ces fils pour pousser sa chaise dans le sable. Elle en avait 50 et lui 20 quand ils se sont connus. Presque puceau, elle l’a pris sous son aile pour lui apprendre, privilège de l’âge les choses de l’amour. Elle se rappelle bien de la douceur de sa peau encore juvénile, de son odeur, de son goût. Elle sourit quand il lui raconte qu’il a été marié deux fois et a eu quatre enfants. Il n’a que cinquante ans, un accident de moto explique le fauteuil. Plus rien ne marche en dessous de la ceinture, et lui aussi se remémore souvent ses 20 ans et son apprentissage ! Avant de repartir, il lui offre une photo d’elle, nue, qu’il avait prise un jour alors qu’elle dormait et qu’un rayon de soleil venait lécher ses seins.

Voilà, il ne manque plus que Maxime, mais lui pas besoin de la jeune étudiante pour le retrouver, il attendait bien sagement sur la terrasse du café la fin des visites. Maxime aurait pu être l’amour de sa vie. Ils se connaissent depuis le lycée. Ils ont joué à « je t’aime moi non plus ». À être fou l’un de l’autre, à se haïr, à se rendre jaloux, à se quitter et à se rabibocher ; jamais ensemble et jamais loin. À toujours croire qu’il fallait vivre le présent, que le grand amour était autre part. À ne jamais décider. Ils étaient amants et il ne l’étaient plus et le redevenaient avant de… 

Maxime s’est approché de Mireille.

— alors ?

— voilà c’est fait, je leur ai dit adieu, il me reste toi. Est-ce que tu me pleureras ?

— sûrement, comme je l’ai souvent fait.

— Je n’ai qu’un regret dans cette vie, c’est de ne pas avoir eu d’enfant.

— Moi aussi, tu le sais…

— Un enfant, un enfant de toi, Maxime !

— Tu vois je vais chialer avant que tu t’en ailles…

— Maxime…

— oui ?

— Il est peut-être un peu tard, mais aujourd’hui je crois que je peux te le dire, j’en suis certain !

— quoi ?

— Je t’aime Maxime, de tout mon cœur, je t’aime… Maintenant, laisse-moi s’il te plaît…

Maxime se pencha sur Mireille. Étrange spectacle de ses deux vieillards s’embrassant goulûment sur une plage de Normandie. Leurs larmes se mêlèrent en un ruisseau salé. « Adieu » lui dit-il, « Adieu, à bientôt ». 

Il s’éloigna sans se retourner, le cœur triste et en joie, un goût doux amer au fond de la gorge, dans la main la photo d’une fille nue…

Mireille ferma les yeux, Dans sa poitrine son palpitant ralentie, un sentiment de bien-être l’envahie, elle savait que c’était fini. Elle avait dit ce qu’elle avait à dire. Elle avait arrêté de se mentir, elle pouvait y aller, elle se sentait enfin en paix avec elle-même…

Une  peinture d’ Eric FISCHL (2008 – sans titre)

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Texte écrit dans le cadre de “Au clair de la plume” dont la consigne est, en s’inspirant d’une  peinture d’ Eric FISCHL (2008 – sans titre) :

L’été est fini et bien fini… ! mais gardons en mémoire les beaux jours chauds qu’il nous a offert.

Vous devrez finir votre texte par la phrase :

 « Elle se sentait enfin en paix avec elle-même. »