Pierre s’était préparé sans enthousiasme, il irait à cette soirée pour faire plaisir à son pote, la première d’un film, même s’il est court, cela se fête ; et puis il faut aussi qu’il se bouge un peu, qu’il sorte, qu’il voie des gens.
Il ne connaît personne dans ce hall de cinéma, pas une tête amie ; et de nouveau cette impression d’être un intrus au milieu du brouhaha de groupes qui se font et se défont ; tout ce peuple qui à l’air de se connaître, sauf lui ; envie de se faire petit…
Mathieu remercie tout le monde d’être venus, espère que le film nous plaira, baratin de circonstance, la salle s’éteint, l’histoire de deux solitudes un soir de grisaille, prête à se jeter à l’eau du haut du pont des arts, coup de foudre, ils vécurent heureux et…
Lumière, applaudissement, Mathieu et les comédiens qui se prosternent.
Re baratin et un verre à boire au bar en face.
Mathieu est entouré de dizaine de courtisan, les gens se battraient presque pour aller saluer le héros du jour. Pierre n’aime pas la foule, il ne s’y sent pas à l’aise. Plongé dans la masse humaine, nage entre les corps serrés, il finit par arriver à proximité ; le plus dur percer le dernier cordon. Enfin il y parvient !
Après il ne se rappelle plus trop comment cela s’est fait, Mathieu l’a remercié d’être venu, ils ont un peu causé, un nouveau groupe s’est incrusté, Mathieu l’a présenté, la discutions est parti sur la sensibilité de l’image, Mathieu à disparu ; et puis cette fille au regard de chat lui a parlé.
Il a répondu, elle a relancé, les deux autres personnes abondaient, Pierre pressentait bien qu’il se passait quelque chose, lui qui ne savait jamais comment aborder une inconnue, qui se sentait gauche, démunis…
La conversation a dévié, enjoué, elle lui a demandé son boulot, raconté le sien, de truc et d’autres ; elle était mignonne, lui commençait à se sentir beau…
Il est arrivé, bruyamment, plein d’entrains, plutôt beau mec, barbe à la mode. Saluant le couple du groupe qui semblait être des amis de longue date. Pierre s’était décalé de deux pas devant l’intrus qui après quelques réflexions d’usage sur le temps qui passe et que cela est sympa de se croiser, se tourne brusquement vers la fille aux yeux de chat « Bonjours, puisque personne ne me présente, je suis… »
Le cercle s’est refermé petit à petit devant Pierre le renvoyant à sa solitude.
Il essaya une dernière fois de capter son attention d’un « désolé, il faut que j’y aille » perdu dans le brouhaha général.
Il mit plusieurs minutes à retrouver Mathieu pour le saluer.
« Tu pars déjà ? Oui j’ai à faire… Bon, on s’appelle, merci d’être venu, au fait je veux que tu sois sur mon prochain projet… Tchao… »
Banalité de bienséance, il se demandait combien de fois dans la soirée Mathieu dirait la même chose.
Atteindre la porte, sortir et prendre un grand bol d’air !
Elle est là, seule, en train d’allumer une cigarette. Comme pris en faute elle dit en rigolant : « Oui je sais il faut que j’arrête ! Tu pars déjà ? »
Il répondit que oui, des trucs à faire, tout ça…
Elle répondit que ce milieu était petit et qu’il serait sûrement appelé à se revoir…
Il griffonna son numéro sur une page qu’il arracha de son carnet et lui tendis en lui disant que ce serait un plaisir et que…
Le bellâtre sorti à son tour les interrompant d’un « tu n’aurais pas une cigarette ? »
Pierre lui dit à la prochaine, elle lui répondit en faisant avec ses deux doigts le signe de téléphoner.
Il s’enfuit plein d’espoir dans la nuit parisienne…
Dans le métro il eut envie de pleurer, il aurait voulu être de ceux qui osent, faire partie du clan des prédateurs à qui tout réussit. Peut-être que ce soir la fille aux yeux de chat dormira dans le lit du charmeur !
Merde elle lui avait dit son prénom, il ne s’en rappelle plus. Il se maudissait de ne pas savoir faire, il aurait dû dire cela, et puis demander son téléphone, et puis ne pas se laisser marcher sur les pieds par le grand con, et puis…
Las…
« Comme d’habitude » chantait Clo-Clo le renvoyant à ce qui avait toujours fait sa réalité…
Elle hanta encore ses rêves quelque temps, elle ne téléphona jamais, Mathieu ne voyait pas de qui il s’agissait « tu sais il y avait beaucoup de monde, j’étais sur un nuage ».
Pierre se rappela alors que la vie n’était pas du cinéma ; il n’y a que dans les films où l’héroïne succombe et qu’ils s’aiment jusqu’au bout de la nuit ; le monde réel, lui est beaucoup plus mesquin…
8 réactions
1 De Cristophe - 28/03/2015, 16:30
Je viens d’apprendre que tu t’appelles Pierre.
2 De Gilsoub - 28/03/2015, 16:33
@Cristophe : On t’aurait mentie ?
3 De Luce Luciole - 28/03/2015, 17:19
Qui ne s’est jamais senti comme Pierre ? “Le grand con” peut être ? ;-). Il me ressemble en tout cas, la foule, la difficulté à se sentir à sa place, l’effacement et la fuite pour finir, ça me rappelle bien des souvenirs. Mais je me souviens aussi d’une fois ou un IL m’a vu et la suite de l’histoire tu la connais
Joli texte sensible…
4 De charlottine - 28/03/2015, 17:31
Belle sensibilité et on a envie de dire: c’est pas grave, elle n’était pas digne de Pierre si elle s’est laissée séduire par ce bellâtre et en plus elle n’avait même pas une petite robe rouge !
5 De silvie - 28/03/2015, 23:20
… du gris dans la tête qui t’a joliment inspiré !
6 De Cristophe - 28/03/2015, 23:36
Je ne me suis pas reconnu du tout dans le type qui va à une première d’un film seulement pour faire plaisir à un copain, je suis capable de dire non. Je ne me suis pas reconnu du tout dans le type qui invente qu’il a des trucs à faire, je ne ressens pas le besoin d’inventer une excuse, je m’en vais et c’est tout. Pour le reste, je veux bien admettre que… d:-)
7 De Gilsoub - 29/03/2015, 00:22
@Luce Luciole : Pas faux, il m’est arrivé de me sentir comme Pierre, dans certaine soirée où tout le monde se connait, où l’on a l’impression de clans impénétrable et où très vite l’on fuis
@Charlottine : Voila, on va dire cela
@Silvie : Non, non pas du gris, juste quelques chose qui me trottais en tête depuis un moment, un besoins de me remettre à écrire, matinée d’un peu de cynisme
@Cristophe : Je ne cherchais pas spécialement à te décrire Juste l’observation que dans les soirées, il y a toujours au moins un Pierre (ou une Pierrette) qui s’ennuie dans un coin et quand ce Pierre rencontre la passante de Brassens
8 De Ceher - 30/03/2015, 16:22
La fille aux yeux de chat est rentrée chez elle, agacée par ce bellâtre bruyant - obnoxious, diraient les Anglais - qui s’est obstiné à s’interposer à chaque fois qu’elle commençait une discussion avec ce type timide qui avait l’air intéressant. Elle s’en veut de ne pas être ce genre de fille un peu volontaire qui sait remettre un dragueur lourdingue à sa place, et qui sait faire comprendre au gars réservé que c’est lui qui l’intéresse.
Elle a pourtant tout fait pour qu’il comprenne qu’elle avait envie de le revoir.
Comble de poisse, la précieuse feuille sur laquelle le type timide a griffonné son numéro lui a échappé des mains au moment où elle l’a sortie de son sac pour se réchauffer le coeur à sa lecture dans le métro.
Elle a demandé à ses amis présents ce soir-là. Ils n’ont jamais pu voir qui c’était, “tu sais, il y avait beaucoup de monde ce soir-là.”
Et en plus, le type timide va croire qu’elle n’était pas sincère et qu’elle ne l’a pas appelé parce qu’il ne l’intéressait pas.