L’amoureuse m’a proposé un petit jeu de confinement, chaque jour je fais une photo et elle, elle écrit un texte dessus, selon l’humeur du moment :

 

 

Elle avait passée l’hivers là, sous la pluie, le vent et parfois même quelques flocons de neige, immobile, à attendre les bipèdes. Seul le chien continuait de venir la saluer, en toute saison, d’un coup de truffe, bien gentil, (il s’était toujours abstenu de lui pisser dessus et elle lui en savait gré). Les bipèdes reviendraient inévitablement, elle le savait, avec le printemps. 

 

Et ça y est, il était là, avec ses explosions de pollen, ses couleurs, ses rayons de douce chaleur. Dans le jardin voisin, son ami le hamac était à nouveau à la terrasse. Les voix et les rires des enfants qui chahutaient à côté résonnaient enfin. Ce matin, le soleil était doux et son humain, viendrait déposer son fessier ferme, à nouveau, sur son assise, comme il aimait tant le faire encore jusqu’en octobre dernier. L’humaine, elle ne viendrait pas, ou alors par hasard. Elle l’avait entendu dire « je ne l’aime pas, elle n’est pas assez confortable ». Elle lui préférait le fauteuil à bascule, qui n’arrêtait pas de se vanter d’être utile toute l’année, même au salon durant l’hivers, parce qu’il était TELLEMENT confortable… Quel prétentieux ! Confortable ! Comme si c’était LA qualité qu’il fallait avoir. Mais elle s’en moquait, elle, la vieille chaise, de bois et de fer, inusable par tous les temps, fidèle. Elle attendait son humain, et elle savait que ce matin, il viendrait boire sa tasse de café, contempler son jardin, réfléchir à ce qu’il allait y planter cette année, se demander s’il n’était pas temps de tondre la pelouse. Elle aimait sentir son poids tranquille. En voilà un qui savait se tenir ! L’humaine elle, quand par accident elle venait se déposer, était toujours agitée, les jambes entortillées, assise que d’une fesse. La chaise sentait ce déséquilibre qui faisait jouer ses articulations. De son point de vue c’est l’humaine qui n’était pas « confortable ». Mais lui ! C’était autre chose…

Elle attendait maintenant avec impatience. Le soleil était monté, il devait être onze heures. « Étrange qu’il ne soit pas déjà venu. Bah, il doit faire une grasse matinée, il viendra pour son café d’après déjeuné »…

 

A seize heures, la vieille chaise en bois attendait toujours son humain qui ne venait pas. « Un si beau soleil toute la journée ! Quel gâchis ! Mais bon, il viendra la prochaine fois », se dit-elle, philosophe. Après tout, elle ne savait des humains que ce qui se disait ou se pensait quand ils venaient s’assoir. C’était le plus intéressant dans ce métier de chaise. Connaitre leurs pensées les plus intimes, même anodines, les rendait si attachants. Mais ce qu’ils faisaient, vivaient dès qu’ils la quittaient, elle en ignorait tout. 

Elle continua donc d’attendre le retour de son humain … Ce printemps-là … Puis cet été là … Au début de l’automne, elle s’était fait une raison. L’humain ne reviendrai pas. Elle avait senti l’humaine pas loin d’elle parfois, mais jamais elle n’était venue s’assoir non plus. C’était étrange, elle n’était pourtant pas cassée. Il l’aurait déjà emportée à la déchetterie ! Non, elle attendait, jamais déplacée, toujours à sa place sur son balcon au-dessus du jardin. 

 

C’est à la fin du mois d’octobre, quand le soleil donnait ses dernières chaleurs que l’humaine vint s’assoir. Pas comme avant, elle pesait moins lourd et n’était pas du tout agitée. Un calme étrange émanait d’elle malgré un léger tremblement. Elle pleurait, l’humaine, son humain parti, qui jamais plus ne reviendrai s’assoir sur cette chaise qu’il aimait tant. Il était allé à la déchèterie pour bipèdes, cimetière ils appellent cela. Ça c’était passé au cours de l’hiver précédent et elle, la chaise oubliée dehors, n’en avait rien su. 

 

Un peu triste d’apprendre qu’elle ne sentirait plus jamais son humain se déposer, elle mit tout son cœur de bois et de fer à rester elle-même, inchangée, pour soutenir son humaine. Elle se dit qu’en tant que chaise, c’est bien la moindre des choses qu’elle pouvait faire, être immuable dans ce monde inconstant, être stable sous la tempête des émotions humaine.

Luce Luciole.